16 mars 2020

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Inventer l'entreprise de demain, basée sur la confiance 

Inventer l'entreprise de demain, basée sur la confiance

Sophie Vernay, Présidente fondatrice de la société « Confiance&Croissance », co-autrice du livre « Et la confiance, bordel ? » et Yann Algan, Doyen de l’Ecole des Affaires publiques de Sciences-Po et professeur d’économie, se sont penchés sur les raisons pour lesquelles les Français ont de plus en plus de difficultés à avoir confiance dans les entreprises, quelles en sont les conséquences et comment y remédier.
Les Français auraient toutes les raisons d’avoir confiance. La nationalité française vient même d’être désignée « la plus attractive du monde » par le cabinet Henley & Partners. Et pourtant nous manquons de confiance en nous-mêmes, en nos institutions comme en nos entreprises. Comment l’expliquez-vous ? Yann Algan : Tout d’abord nous vivons un grand paradoxe entre « bonheur privé » et « malheur public ». Les études montrent que les Français sont satisfaits de leur vie personnelle et pessimistes quant à notre destin collectif. Et cela vient de plusieurs facteurs : il existe une défiance dans les institutions qui est partagée dans de nombreux pays, qui est corrélée à une incapacité de nos experts, de nos entreprises et de nos responsables politiques à répondre aux principaux risques économiques (crises financières, chômage...). S’y ajoute une spécificité française : le fonctionnement très vertical de nos institutions avec une centralisation très forte du pouvoir de décision, que l’on retrouve aussi en entreprise avec un des ni- veaux de délégation les plus faibles de l’OCDE. Un fonctionnement vertical que l’on retrouve aussi dans l’éducation, où les travaux en groupe sont rares. Résultat, le système conduit à la sélection d’une petite élite qui reproduit le même schéma... Quelles sont les conséquences pour les entreprises ? Sophie Vernay : D’abord, les salariés ont du mal à se projeter dans l’avenir de leur société. 40 % d’entre eux déclarent ne pas adhérer au projet de l’entreprise, ce qui est très préjudiciable, car la performance de celle-ci tient à la capacité à se transformer, et l’engagement des collaborateurs est déterminant. Sans cet engagement, la croissance d’une activité ne peut pas être durable. Aujourd’hui, la réussite d’une entreprise est basée sur un triptyque de la confiance : celle des investisseurs, celle des clients et celle des salariés.
Comment y remédier ? Sophie Vernay : Il faut bâtir une « architecture de la confiance » qui repose sur quatre piliers. Premièrement, il n’est plus acceptable que la croissance ne soit pas partagée et ne bénéficie qu’à quelques actionnaires. Et il faut que le projet soit très clair, avec des indicateurs précis et concrets. Ensuite, les collaborateurs ont besoin de s’engager dans une entreprise citoyenne, solidaire, qui tient compte de la dimension écologique, et au sein de laquelle une communication moins hiérarchique existe. Certaines entreprises françaises ont réussi à progresser sur ces deux premiers points. En revanche, concernant les deux autres, ce n’est pas le cas. Il faudrait d’une part arriver à mettre en place un management plus participatif, mais la révolution managériale n’a pas eu lieu. Et il faudrait également parvenir à développer une entreprise basée sur l’équité, en donnant aux gens les moyens d’accomplir leur mission, avec des procédures de traitement équitables en termes de RH. Yann Algan : Et c’est même une question de survie. D’une part, le recrutement des jeunes talents va être de plus en plus difficile, notamment pour les entre- prises du secteur financier ou des groupes comme Total. Il va falloir inventer un modèle basé sur la responsabilité sociale avec un pacte de confiance. Il va falloir se transformer en profondeur, sans silos très hiérarchiques. De toute façon, avec le numérique, les informations sont partagées et il n’y a plus vraiment de filtre. La confiance, qui est, on l’a vu, primordiale, repose désormais sur de véritables échanges. * Et la confiance, bordel ? , Institut Montaigne-Eyrolles. À lire également : Les origines du populisme, de Yann Algan et Daniel Cohen, Le Seuil éditions.